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Démarche

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​Mes premières créations étaient des dessins, des croquis au crayon graphite et au fusain. Pendant mon enfance, j’ai suivi quelques cours d’aquarelle au centre communautaire municipal. C'est vers l’âge de 13 ans que je réalise mes premiers collages avec de vieux magazines.


 

Au cégep en arts visuels, je découvre la photographie numérique. Je m’intéresse d’abord au portrait. Inspirée par la photographie préraphaélite, j’imprime mes photos et les colle sur des panneaux de bois recyclés, puis je les modifie avec de l’encre et de l’acrylique.


 

Pendant quelques années, la peinture occupe une grande place dans ma pratique. Je reviens maintenant au dessin et au collage sur papier, qui reçoit bien l’encre, l’acrylique et l’aquarelle, en plus d’être facilement transportable.

La fragilité du papier m'interpelle. Historiquement, dans la hiérarchie traditionnelle en arts visuels, les oeuvres sur papier sont inférieures aux oeuvres peintes. Je peins sur papier avec de l'encre, de l'aquarelle ou de l'acrylique, je dessine sur la toile ou sur le peanneau de bois après l'avoir peint (fusain, pastel gras, graphite): j'aime l'idée de renverser les codes qui autrefois reléguaient le dessin à une "étude" ou à des esquisses. Je trouve les dessins d'artistes émouvants par leur authenticité, leur rapport honnête avec la matière et avec le geste de l'artiste. 

 

 

L’artiste Paryse Martin, qui m’a enseigné à Québec, a déjà qualifié l’un de mes portraits de « beau cauchemar » : l’expression rend bien mon idée d’affronter la beauté et les ténèbres dans un seul et même visage, où ces deux éléments cohabitent. Même les plus jolies et les plus admirées des femmes peuvent être fragiles, peuvent sombrer. La figuration « matérialise »  ce qui m’interpelle et ce qui me dérange. Ce cauchemar qui est le mien, je l'exorcise par la figuration.

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Mon sujet de prédilection: le portrait féminin. À l’encre noire, j’esquisse, parfois très rapidement, un visage en train d’apparaître ou de disparaître : le visage est fluide, fantomatique, symptomatique d’un malaise. Des visages dont la pâleur inquiète et dérange; parfois, des traits défigurés, des regards doux, apeurés, suppliants ou fuyants...À travers la figure féminine, j’explore les thèmes de l’angoisse, de la tristesse en lien avec la beauté. Les techniques (fusain, encre, acrylique, crayon, aquarelle) varient selon mon interprétation de chaque visage.

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Ma mémoire est hantée par des femmes, réelles ou fictives : la chanteuse rock Siouxsie Sioux, mère du mouvement gothique avec sa voix étrange et son look égyptien, le personnage de Daenerys (Game of Thrones) qui mange un cœur d’étalon cru et sanglant en entier alors qu'elle est enceinte, une Afghane qui se fait arracher le nez par son mari, d’autres femmes victimes de torture, des Saintes martyres. Ces femmes figurent sur ma liste de portraits à réaliser.

Je créée à partir d’images en noir et blanc, dont je modifie les ombres les lumières pour accentuer le contraste, comme si je plaquais une lampe d’interrogatoire au-dessus de ces visages pour les questionner. Ils me révèlent leur beauté, leur fragilité.

L'encre de Chine est une technique que je qualifie de “directe”: sans détour, elle marque immédiatement le papier. Quand je travaille sans dessin préalable, l'encre noire sur du papier blanc est ce qu'il y a de plus graphique pour moi, de plus violent en termes de couleurs. J'affectionne cette technique parce qu'avec elle, je ne peux pas revenir en arrière. Comme avec l'eau, l'encre et les pigments d'aquarelle ont leur vie propre: elles se répandent de manière parfois aléatoire et je m'y adapte. Laisser place à des tracés non intentionnels, non calculés: c'est aussi ce que je veux explorer dans la figuration, qui n'est pas une simple reproduction du réel. Je peins parfois directement sur la toile ou sur le papier, sans croquis, pour m'affranchir de la ligne. 

Je réalise parfois des illustrations ponctuelles pour exprimer une crainte ou une idée négative qui ne veut pas me quitter. En ce moment, c'est l'intelligence artificielle qui alimente mes réflexions. Je me tourne vers les romans et les films de science-fiction (dont certains films d'animation japonais) pour m'inspirer.

Chute et élévation

Très jeune, j'ai été influencée par l'imagerie religieuse et par les bandes dessinées. La plupart de mes créations visuelles sont figuratives. C'est un moyen pour moi de connecter avec la réalité plutôt que de m'enfuir dans le virtuel. De m'ancrer dans le moment présent en impliquant tous mes sens. Les images deviennent symboles, et chacun peut inventer sa propre histoire. Juxtaposer l'abstrait au figuratif, c'est pour moi une manière de représenter la vie: nous sommes façonnés par tant de choses que nous ne comprenons pas, et traversés par une vie qui nous transcende. Peu importe nos croyances, la vie se fraie un chemin et poursuit toujours son cours, au-delà des ruines d'architecture et de la décomposition de la matière. Même si nous ne sommes ni croyants, ni pratiquants d'une religion, il existe toujours une quête de sens chez l'humain. 

Le thème de la chute, c'est aussi le combat, l'existence de l'enfer, la dualité entre le Bien et le Mal. J'ai été élevée en tant que catholique de sexe féminin, alors ce thème est aussi une façon pour moi de m'affirmer en tant que femme féministe qui rejette son éducation catholique. Rappelons le péché originel, pour lequel la femme a été tenue "responsable": à cause d'elle, l'humanité a été exclue du jardin d'Éden (comme les anges rebelles ont été bannis du paradis), et rappelons le rôle inférieur de la femme dans la religion chrétienne en général.

 

La chute des anges représente la rébellion et la victoire de Dieu ou de l'ordre établi. Je pense à une autre version du récit de la création de l'humanité avec la première femme d'Adam, Lilith, qui s'était elle aussi rebellée. Je m'intéresse à la connaissance de soi et au dépassement de soi. Notre époque qui exalte la perfection, la performance et la guerre condamne souvent l’échec, l'inertie, le besoin de repos. Pourtant, il faut parfois tomber pour apprendre. J'effleure ici le sujet de la santé mentale, qui me tient à coeur. Et le métier d'artiste constitue, selon moi, une forme de rébellion à bien des égards.

Figurer des figures : exorciser par la figuration

Séries vs travail à la chaîne

Je travaille habituellement par séries. Dans mes recherches actuelles, le collage et les techniques mixtes sur des supports variés me permettent de m'éloigner du dessin et d'explorer de nouvelles compositions. J'emprunte à l'imagerie religieuse les thèmes de la Chute des Anges rebelles et de l'Apocalypse, dans une série intitulée Anges de la Ruine. J'utilise des images issues de magazines de mode et des images de calendriers désuets des années précédentes. J’illustre ma vision d'un monde futur, perdu dans l'espace-temps, après une bataille ou un cataclysme. On y retrouve des personnages-monuments androgynes qui me rappellent les anges de l'artiste Yslaire dans son oeuvre XXe ciel.com (1997).

 

J'évoque la Nature dans cette série. Les arrière-plans sont abstraits, construits, mais chaotiques. Les goutelettes de peinture peuvent devenir des étoiles dans l'espace ou des explosions provenant d'une bombe. Il y a une certaine liberté, un  hasard du geste. Tandis que le collage est un acte bien plus précis (découpage, choix de composition, etc.), je découpe toutes mes images avec des ciseaux et rien n'est imprimé dans cette série. J'utilise autant que possible des matériaux recyclés. La nature et la science, la pratique et la théorie, le matériel et le spirituel, la vraie vie et les livres...tout cela coexiste et peut paraître incompatible. Autant de dualités à réconcilier dans nos vies.

 

Quand j'assemble les éléments d'un tableau, il arrive qu'une narration se crée naturellement entre les motifs et les personnages à mesure que le tableau se construit, un peu par hasard. Un personnage en regarde un autre, un papillon sort du cadre bien délimité d'une composition, par exemple. (Je questionne ce hasard, puisqu'on nous martèle qu'on fait toujours un choix: y a-t-il du hasard dans la nature quand un arbre pousse à travers une haie de cèdre bien taillée, dans la dispersion des samares, dans une plante qui pousse dans les joints de béton?)

 

Quant aux couleurs, j'affectionne les contrastes forts (noir et blanc, noir et jaune, vert et rouge, par exemple), qui soutiennent l'idée du combat tout en exprimant une certaine violence, présente dans la Nature.

 

Les anges représentent aussi la mémoire, puisque plusieurs images choisies proviennent de calendriers d'anges-statuettes de cimetières. Ils deviennent des gardiens, comme s’ils avaient été transformés en pierre avant ou après leur combat, et ils tentent maintenant de protéger les sépultures humaines. On ne sait plus s’ils sont les « bons » ou les « mauvais » anges. J'intègre aussi des images de planètes et de papillons et de larves de papillons dans cette série, peut-être parce que cela me rappelle la place que l'humain tient dans l'univers. Le papillon, source d'émerveillement et de mystère, me fascine parce qu'il symbolise la métamorphose de l'insecte rampant jusqu'au stade de grâce avant sa mort.

 

Dans la série Beheaded, j'illustre les thèmes de la décapitation ou de la décollation (Salomé, Judith et Holopherne) provenant des histoires de la Bible. Tantôt un trophée d'exploit guerrier, tantôt un symbole, le motif de la tête coupée m'inspire particulièrement dans la peinture symboliste.

 

Ma série The Beautiful Misfits  fait une incursion dans l’univers « fetish », dans la contre-culture gothique et même dans l'histoire politique et religieuse, qui présentent des femmes marginales et ou marginalisées (des saintes martyres, des femmes victimes de violence qui ont fait les manchettes). Dans cette série, la beauté côtoie l'horreur dans un même visage.

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© Christine Lafrenière 2019. Le contenu de ce site web (images, textes) est sous la protection de la loi sur les droits d’auteur.  Tous  droits réservés. Site web conçu par Claf rédaction, avec Wix.com

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