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Démarche

Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne,

Ô vase de tristesse, ô grande taciturne 

Et t'aime d'autant plus, belle, que tu me fuis,
Et que tu me parais, ornement de mes nuits […]

 

(Baudelaire., Les Fleurs du Mal, 1857, p. 43)

 

 

Au commencement, il y avait la Femme, la Nature, la Nuit. Cette trilogie, ou « trinité », agit comme catalyseur dans la démarche de Lady Nightfall. La nuit déployant toute sa splendeur, ses ombres mystérieuses ; l'obscurité qui apaise et qui protège, à mesure que le rythme du monde change et semble ralentir...Moment de contemplation des étoiles, de la Lune et de ses reflets sur l'eau ; moment d’apparition des fantômes, des sorcières et autres créatures fantastiques, la nuit est dangereuse dans les contes classiques pour enfants. Chère aux poètes, la nuit est aussi un espace-temps de séduction, d’intimité, et un moment privilégié  pour la création.

 

Le sommeil de la raison engendre des monstres, gravure de Francisco Goya, et le tableau Le Cauchemar de Johann Heinrich Füssli ont particulièrement marqué l’artiste.  Fascinée par la technique du clair-obscur des peintres célèbres, par l’éclairage dramatique des films expressionnistes allemands et par la lueur des bougies et des lampes à l’huile dans une demeure, l’artiste attribue à l’obscurité à la fois le pouvoir de révéler et celui de cacher.

Pourquoi la Nuit? Because, the Night…

Souffrant d’insomnie, d’anxiété et même de cyberdépendance lors de son adolescence et pendant ses études, elle passait des nuits à lire et à dessiner, se sentant « à l’envers » du monde et s’efforçant peu à peu d’adopter un mode de vie plus sain. Alors que la  musique s’imposait dans sa vie comme une forme de thérapie, elle choisit un pseudonyme en lien avec sa chanson préférée, Because the Night, coécrite par Bruce Springsteen et Patti Smith.

À l’encre noire, j’esquisse, parfois très rapidement, un visage en train d’apparaître ou de disparaître : le visage est fluide, fantomatique, symptomatique d’un malaise. Les techniques (fusain, encre, acrylique, crayon, aquarelle) varient selon mon interprétation de chaque visage.

 Figurer des figures : exorciser par la figuration

Mon sujet de prédilection est le portrait féminin. À travers la figure féminine, j’explore les thèmes de l’angoisse et de la tristesse en lien avec la beauté.

L’artiste Paryse Martin, qui m’a enseigné à Québec, a déjà qualifié l’un de mes portraits de « beau cauchemar » : l’expression rend bien mon idée d’affronter la beauté et l’horreur dans un seul et même visage, où ces deux éléments cohabitent. Même les plus jolies et les plus admirées des femmes peuvent être fragiles, peuvent sombrer. L’apparence, le masque du maquillage, les produits chimiques, la violence envers les femmes, l’environnement, tout cela me préoccupe. La figuration « matérialise »  ce qui m’interpelle et ce qui me dérange. Ce cauchemar qui est le mien, je l'exorcise par la figuration.

 Je veux mettre en lumière la force des femmes. Le style de mes portraits oscille entre l’illustration et le portrait traditionnel. Rappelant parfois la b.d. par le dessin et la monochromie, ce style permet la représentation d’horreurs, telles la défiguration. J’ai été marquée par les portraits d’Otto Dix et par les œuvres de Francisco Goya : tous deux ont osé représenter des horreurs bien plus grandes, à des époques différentes. Notre époque, selon moi, exalte la perfection esthétique, et il existe encore plusieurs formes de censure.

 

Je travaille souvent à partir d’images en noir et blanc, dont je modifie les ombres les lumières pour accentuer le contraste, comme si je plaquais une lampe d’interrogatoire au-dessus de ces visages pour les questionner. Ils me révèlent leur beauté, leur fragilité.  J'accorde une grande place au dessin dans ma pratique.

 

La figuration ne se limite pas à « l’imitation » : elle inclut aussi des techniques telles le collage, acte d’appropriation de mon propre imaginaire, et acte de rébellion contre l’imaginaire qu’on m’impose (mode, décoration). Les images de magazines, destinés surtout aux femmes, qui mettent à l’avant-plan des critères de beauté et de comportement, m’intéressent pour leur portée sémantique.

Les oeuvres d'art ne sont seulement des produits, des résultats de formalités techniques :  elles sont des traces d'une vision, d'un état d'esprit,  d'une civilisation et d'une époque, dans un monde où l'artiste pourrait être magicienne ou magicien. 

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